Au Québec, la fiducie familiale reste souvent mal comprise. On l’associe à tort à un outil fiscal complexe, coûteux et réservé aux très grandes fortunes. En réalité, elle peut devenir un levier puissant pour plusieurs entrepreneurs, à condition qu’elle soit bien utilisée, dans le bon contexte.
Comprendre ce qu’est une fiducie familiale
Une fiducie familiale, aussi appelée fiducie entre vifs, est une structure juridique qui permet de détenir certains actifs dans un patrimoine distinct, au bénéfice de personnes choisies (souvent les membres de la famille). Elle est dite « entre vifs » car elle est créée du vivant du constituant, contrairement à la fiducie testamentaire.
Elle repose sur trois rôles :
- Le constituant : la personne qui crée la fiducie;
- Le fiduciaire : celui qui gère les biens selon les règles définies;
- Le ou les bénéficiaires : ceux qui reçoivent les revenus ou le capital.
Il doit toujours y avoir au moins un fiduciaire indépendant, c’est-à-dire quelqu’un qui n’est ni le constituant ni un bénéficiaire. Cette condition est essentielle pour assurer la validité fiscale et juridique de la structure. Une fiducie peut ainsi posséder des actions, des immeubles ou des placements et dispose de sa propre fiscalité.
Dans quelles situations une fiducie est-elle pertinente?
Certaines stratégies d’affaires ou de planification peuvent grandement bénéficier d’une fiducie. Trois contextes sont particulièrement courants : la planification successorale, la vente d’entreprise et la protection d’actifs.
a) Planification successorale : gel de la valeur et transfert de la croissance
Le gel successoral, combiné à la fiducie familiale, est une stratégie puissante pour transférer la croissance future d’actifs à la relève, tout en figeant leur valeur actuelle entre les mains du propriétaire. Cela permet de limiter l’impôt sur le gain en capital qui sera payable lors d’un transfert, d’une vente ou au décès.
Il est possible d’effectuer un gel sans fiducie, en transférant directement les nouvelles actions à la prochaine génération. Mais en les logeant dans une fiducie entre vifs, on gagne en contrôle, en souplesse, et on peut différer le transfert effectif des actions tout en planifiant leur répartition.
Autre avantage notable : la multiplication de l’exonération du gain en capital. Comme chaque bénéficiaire peut exonérer jusqu’à 1 250 000 $ (données 2025), répartir le gain entre plusieurs bénéficiaires de la fiducie peut générer une économie d’impôt significative lors de la vente de l’entreprise.
Il faut toutefois garder à l’esprit que les montants distribués appartiennent entièrement aux bénéficiaires. Ils ne peuvent donc pas être redirigés vers le propriétaire initial sans conséquences fiscales. D’où l’importance d’un cadre rigoureux et d’une vision claire.
Voici un schéma démontrant cette stratégie :
b) Vente d’entreprise : maximiser l’exonération
Dans le prolongement du gel successoral, une fiducie familiale peut également être utilisée pour maximiser les exonérations du gain en capital lors de la vente d’une entreprise. Lorsque la fiducie détient les actions de l’entreprise, elle peut répartir le gain entre plusieurs bénéficiaires admissibles, chacun pouvant utiliser son plafond personnel d’exonération. Cela permet de réduire considérablement la facture fiscale lors de la vente d’une entreprise en croissance.
c) Protection d’actifs : créer un rempart préventif
Une fiducie familiale peut également servir à protéger certains actifs contre d’éventuels créanciers. Parce qu’elle constitue un patrimoine distinct, elle permet de séparer légalement certains biens du patrimoine personnel du constituant, dans un objectif de protection préventive.
Elle s’inscrit souvent dans une structure de protection d’actifs visant à préserver des éléments clés du patrimoine familial. Ce type de fiducie n’offre généralement aucun avantage fiscal. Elle est mise en place dans une logique juridique de préservation, et l’objectif de protection doit être clairement inscrit dans l’acte de fiducie.
Quels sont les coûts et implications d’un fiducie familiale ?
Il est courant d’entendre que les fiducies coûtent 10 000 $ ou plus par année. Si cela peut être vrai dans les cas les plus complexes, ce n’est pas représentatif de la majorité des situations.
Pour les fiducies familiales utilisées en contexte entrepreneurial, les frais annuels réalistes tournent plutôt autour de 5 000 $. Ce montant inclut généralement la production des états financiers, la déclaration de revenus T3, les feuillets fiscaux pour les bénéficiaires, ainsi que la comptabilité de base.
Dans une perspective de planification fiscale pour entrepreneurs, ce coût peut être considéré comme un investissement stratégique. Dans les contextes où la fiducie est utilisée de manière ciblée, les avantages fiscaux, successoraux ou juridiques peuvent largement justifier cet engagement financier annuel.
Ce qu’il faut retenir sur la fiducie familiale
La fiducie familiale n’est ni une mode fiscale, ni un luxe réservé aux grandes fortunes. Bien structurée, elle peut jouer un rôle stratégique dans la croissance, la transmission et la protection du patrimoine d’un entrepreneur.
Elle permet de faciliter la relève, d’optimiser une vente d’entreprise, de protéger des biens clés, et parfois, de générer des économies d’impôt significatives. Mais elle doit être abordée avec prudence, rigueur et vision à long terme. Elle exige une réflexion stratégique accompagnée par une équipe professionnelle solide : comptable, fiscaliste, planificateur financier, avocat. Une fiducie bien conçue, c’est une fondation efficace pour l’avenir de votre entreprise et de votre famille.
